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la femme de paul

— Tiens ! Madeleine… Viens donc me parler, ma chérie.

Paul crispa ses doigts sur le poignet de sa maîtresse ; mais elle lui dit d’un tel air : — « Tu sais, mon p’tit, tu peux filer, » qu’il se tut et resta seul.

Alors elles causèrent tout bas, debout, toutes les trois. Des gaietés heureuses passaient sur leurs lèvres ; elles parlaient vite ; et Pauline, par instants, regardait Paul à la dérobée avec un sourire narquois et méchant.

À la fin, n’y tenant plus, il se leva soudain et fut près d’elles d’un élan, tremblant de tous ses membres. Il saisit Madeleine par les épaules : — « Viens, je le veux, dit-il, je t’ai défendu de parler à ces gueuses. »

Mais Pauline éleva la voix et se mit à l’engueuler avec son répertoire de poissarde. On riait alentour ; on s’approchait ; on se haussait sur le bout des pieds afin de mieux voir. Et lui restait interdit sous cette pluie d’injures fangeuses ; il lui semblait que les mots sortant de cette bouche et tombant sur lui le salissaient comme des ordures, et, devant le scandale qui commençait, il recula, retourna sur ses pas, et s’accouda sur la balustrade vers le fleuve, le dos tourné aux trois femmes victorieuses.

Il resta là, regardant l’eau, et parfois, avec un geste rapide, comme s’il l’eût arrachée, il enlevait d’un doigt nerveux une larme formée au coin de son œil.

C’est qu’il aimait éperdument, sans savoir pourquoi, malgré ses instincts délicats, malgré sa raison, malgré sa volonté même. Il était tombé dans cet amour