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la femme de paul

de nouveau, monter par l’espace, couvrir la plaine, emplir le feuillage épais des grands arbres, s’étendre aux lointains coteaux, aller jusqu’au soleil.

La rameuse, devant cette ovation, s’était arrêtée tranquillement. La grosse blonde étendue au fond du canot tourna la tête d’un air nonchalant, se soulevant sur les coudes ; et les deux belles filles, à l’arrière, se mirent à rire en saluant la foule.

Alors la vocifération redoubla, faisant trembler l’établissement flottant. Les hommes levaient leurs chapeaux, les femmes agitaient leurs mouchoirs, et toutes les voix, aiguës ou graves, criaient ensemble : « Lesbos ! » On eût dit que ce peuple, ce ramassis de corrompus, saluait un chef, comme ces escadres qui tirent le canon quand un amiral passe sur leur front.

La flotte nombreuse des barques acclamait aussi le canot des femmes, qui repartit de son allure somnolente pour aborder un peu plus loin.

M. Paul, au contraire des autres, avait tiré une clet de sa poche, et, de toute sa force, il sifflait. Sa maîtresse, nerveuse, pâlie encore, lui tenait le bras pour le faire taire et elle le regardait cette fois avec une rage dans les yeux. Mais lui, semblait exaspéré, comme soulevé par une jalousie d’homme, par une fureur profonde, instinctive, désordonnée. Il balbutia, les lèvres tremblantes d’indignation :

— C’est honteux ! on devrait les noyer comme des chiennes avec une pierre au cou.

Mais Madeleine, brusquement, s’emporta ; sa petite