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la femme de paul

tante et malgré le voisinage de l’eau, une chaleur suffocante emplissait ce lieu. Les émanations des liqueurs répandues se mêlaient à l’odeur des corps et à celle des parfums violents dont la peau des marchandes d’amour est pénétrée et qui s’évaporaient dans cette fournaise. Mais sous toutes ces senteurs diverses flottait un arome léger de poudre de riz qui parfois disparaissait, reparaissait, qu’on retrouvait toujours, comme si quelque main cachée eût secoué dans l’air une houppe invisible.

Le spectacle était sur le fleuve, où le va-et-vient incessant des barques tirait les yeux. Les canotières s’étalaient dans leur fauteuil en face de leurs mâles aux forts poignets, et elles considéraient avec mépris les quêteuses de dîners rôdant par l’île.

Quelquefois, quand une équipe lancée passait à toute vitesse, les amis descendus à terre poussaient des cris, et tout le public, subitement pris de folie, se mettait à hurler.

Au coude de la rivière, vers Chatou, se montraient sans cesse des barques nouvelles. Elles approchaient, grandissaient, et, à mesure qu’on reconnaissait les visages, d’autres vociférations partaient.

Un canot couvert d’une tente et monté par quatre femmes descendait lentement le courant. Celle qui ramait était petite, maigre, fanée, vêtue d’un costume de mousse avec ses cheveux relevés sous un chapeau ciré. En face d’elle, une grosse blondasse habillée en homme, avec un veston de flanelle blanche, se tenait couchée sur le dos au fond du bateau, les jambes en l’air sur le