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la femme de paul

livrée, la tête raide en son grand col, demeurait les reins inflexibles et le fouet sur un genou.

La berge était couverte de gens qui s’en venaient par familles, ou par bandes, ou deux par deux, ou solitaires. Ils arrachaient des brins d’herbe’, descendaient jusqu’à l’eau, remontaient sur le chemin, et tous, arrivés au même endroit, s’arrêtaient, attendant le passeur. Le lourd bachot allait sans fin d’une rive à l’autre, déchargeant dans l’île ses voyageurs.

Le bras de la rivière (qu’on appelle le bras mort), sur lequel donne ce ponton à consommations, semblait dormir, tant le courant était faible. Des flottes de yoles, de skifs, de périssoires, de podoscaphes, de gigs, d’embarcations de toute forme et de toute nature, filaient sur l’onde immobile, se croisant, se mêlant, s’abordant, s’arrêtant brusquement d’une secousse des bras pour s’élancer de nouveau sous une brusque tension des muscles, et glisser vivement comme de longs poissons jaunes ou rouges.

Il en arrivait d’autres sans cesse : les unes de Chatou, en amont ; les autres de Bougival, en aval ; et des rires allaient sur l’eau d’une barque à l’autre, des appels, des interpellations ou des engueulades. Les canotiers exposaient à l’ardeur du jour la chair brunie et bosselée de leurs biceps ; et, pareilles à des fleurs étranges, à des fleurs qui nageraient, les ombrelles de soie rouge, verte, bleue ou jaune des barreuses s’épanouissaient à l’arrière des canots.

Un soleil de juillet flambait au milieu du ciel ; l’air