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la femme de paul

Les bateaux, un à un, se détachaient du ponton. Les tireurs se penchaient en avant, puis se renversaient d’un mouvement régulier ; et, sous l’impulsion des longues rames recourbées, les yoles rapides glissaient sur la rivière, s’éloignaient, diminuaient, disparaissaient enfin sous l’autre pont, celui du chemin de fer, en descendant vers la Grenouillère.

Un couple seul était resté. Le jeune homme, presque imberbe encore, mince, le visage pâle, tenait par la taille sa maîtresse, une petite brune maigre avec des allures de sauterelle ; et ils se regardaient parfois au fond des yeux.

Le patron cria : — « Allons, monsieur Paul, dépêchez vous. » Et ils s’approchèrent.

De tous les clients de la maison, M. Paul était le plus aimé et le plus respecté. Il payait bien et régulièrement, tandis que les autres se faisaient longtemps tirer l’oreille, à moins qu’ils ne disparussent, insolvables. Puis il constituait pour l’établissement une sorte de réclame vivante, car son père était sénateur. Et quand un étranger demandait : — « Qui est-ce donc ce petit-là, qui en tient si fort pour sa donzelle ? » quelque habitué répondait à mi-voix, d’un air important et mystérieux : — « C’est Paul Baron, vous savez ? le fils du sénateur. » — Et l’autre, invariablement, ne pouvait s’empêcher de dire : — « Le pauvre diable ! il n’est pas à moitié pincé. »

La mère Grillon, une brave femme, entendue au commerce, appelait le jeune homme et sa compagne :