Page:Maupassant - La maison Tellier - Ollendorff, 1899.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231
au printemps

« Alors elle vous injurie du matin au soir, ne comprend rien, ne sait rien, jacasse sans fin, chante à tue-tête la chanson de Musette (oh ! la chanson de Musette, quelle scie !), se bat avec le charbonnier, raconte à la concierge les intimités de son ménage, confie à la bonne du voisin tous les secrets de l’alcôve, débine son mari chez les fournisseurs, et a la tête farcie d’histoires si stupides, de croyances si idiotes, d’opinions si grotesques, de préjugés si prodigieux, que je pleure de découragement, monsieur, toutes les fois que je cause avec elle. »

Il se tut, un peu essoufflé et très ému. Je le regardais, pris de pitié pour ce pauvre diable naïf, et j’allais lui répondre quelque chose, quand le bateau s’arrêta. On arrivait à Saint-Cloud.

La petite femme qui m’avait troublé se leva pour descendre. Elle passa près de moi en me jetant un coup d’œil de côté avec un sourire furtif, un de ces sourires qui vous affolent ; puis elle sauta sur le ponton.

Je m’élançai pour la suivre, mais mon voisin me saisit par la manche. Je me dégageai d’un mouvement brusque ; il m’empoigna par les pans de ma redingote, et il me tirait en arrière en répétant : — « Vous n’irez pas ! vous n’irez pas ! » d’une voix si haute, que tout le monde se retourna.

Un rire courut autour de nous, et je demeurai immobile, furieux, mais sans audace devant le ridicule et le scandale.

Et le bateau repartit.