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au printemps

comme si elle se fût dit : — Ah ! c’est comme ça qu’on joue de toi, mon bon ; eh bien ! nous allons voir.

« En amour, monsieur, nous sommes toujours des naïfs, et les femmes des commerçantes.

« J’aurais pu la posséder, sans doute ; j’ai compris plus tard ma sottise, mais ce que je cherchais, moi, ce n’était pas un corps ; c’était de la tendresse, de l’idéal. J’ai fait du sentiment quand j’aurais dû mieux employer mon temps.

« Dès qu’elle en eut assez de mes déclarations, elle se leva ; et nous revînmes à Saint-Cloud. Je ne la quittai qu’à Paris. Elle avait l’air si triste depuis notre retour que je l’interrogeai. Elle répondit : — « Je pense que voilà des journées comme on n’en a pas beaucoup dans sa vie. » — Mon cœur battait à me défoncer la poitrine.

« Je la revis le dimanche suivant, et encore le dimanche d’après, et tous les autres dimanches. Je l’emmenai à Bougival, Saint-Germain, Maisons-Laffitte, Poissy ; partout où se déroulent les amours de banlieue.

« La petite coquine, à son tour, me « la faisait à la passion ».

« Je perdis enfin tout à fait la tête, et, trois mois après, je l’épousai.

« Que voulez-vous, monsieur, on est employé, seul, sans famille, sans conseils ! On se dit que la vie serait douce avec une femme ! Et on l’épouse, cette femme !