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la maison tellier

Lorsque les tristes promeneurs furent restés là quelque temps, M. Tournevau déclara : « Ça n’est pas gai. » — « Non certes, » reprit M. Pimpesse ; et ils repartirent à petits pas.

Après avoir longé la rue que domine la côte et qu’on appelle : « Sous-le-bois », ils revinrent par le pont de planche sur la Retenue, passèrent près du chemin de fer et débouchèrent de nouveau place du Marché, où une querelle commença tout à coup entre le percepteur, M. Pimpesse, et le saleur, M. Tournevau, à propos d’un champignon comestible que l’un d’eux affirmait avoir trouvé dans les environs.

Les esprits étant aigris par l’ennui, on en serait peut être venu aux voies de fait si les autres ne s’étaient interposés. M. Pimpesse, furieux, se retira ; et aussitôt une nouvelle altercation s’éleva entre l’ancien maire, M. Poulin, et l’agent d’assurances, M. Dupuis, au sujet des appointements du percepteur et des bénéfices qu’il pouvait se créer. Les propos injurieux pleuvaient des deux côtés, quand une tempête de cris formidables se déchaîna, et la troupe des matelots, fatigués d’attendre en vain devant une maison fermée, déboucha sur la place. Ils se tenaient par le bras, deux par deux, formant une longue procession, et ils vociféraient furieusement. Le groupe des bourgeois se dissimula sous une porte, et la horde hurlante disparut dans la direction de l’abbaye. Longtemps encore on entendit la clameur diminuant comme un orage qui s’éloigne ; et le silence se rétablit.