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au printemps

« Puis elle chanta éperdument mille choses, des airs d’opéra, la chanson de Musette ! La chanson de Musette ! comme elle me sembla poétique alors !… Je pleurais presque. Oh ! ce sont toutes ces balivernes-là qui nous troublent la tête ; ne prenez jamais, croyez-moi, une femme qui chante à la campagne, surtout si elle chante la chanson de Musette !

« Elle fut bientôt fatiguée et s’assit sur un talus vert. Moi, je me mis à ses pieds, et je lui saisis les mains, ses petites mains poivrées de coups d’aiguille ; et cela m’attendrit. Je me disais : — « Voici les saintes marques du travail. » — Oh ! monsieur, monsieur, savez-vous ce qu’elles signifient, les saintes marques du travail ? Elles veulent dire tous les commérages de l’atelier, les polissonneries chuchotées, l’esprit souillé par toutes les ordures racontées, la chasteté perdue, toute la sottise des bavardages, toute la misère des habitudes quotidiennes, toute l’étroitesse des idées propres aux femmes du commun, installées souverainement dans celle qui porte au bout des doigts les saintes marques du travail.

« Puis nous nous sommes regardés dans les yeux longuement.

« Oh ! cet œil de la femme, quelle puissance il a ! Comme il trouble, envahit, possède, domine ! Comme il semble profond, plein de promesses, d’infini ! On appelle cela se regarder dans l’âme ! Oh ! monsieur, quelle blague ! Si l’on y voyait, dans l’âme, on serait plus sage, allez.