Page:Maupassant - La maison Tellier - Ollendorff, 1899.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
227
au printemps

charme, un je ne sais quoi tout particulier. C’est absolument comme du vin qu’on boit après le fromage.

« Je la regardais, et elle aussi elle me regardait, — mais seulement de temps en temps, comme la vôtre tout à l’heure. Enfin, à force de nous considérer, il me sembla que nous nous connaissions assez pour entamer conversation, et je lui parlai. Elle répondit. Elle était gentille comme tout, décidément. Elle me grisait, mon cher monsieur !

« À Saint-Cloud, elle descendit, — je la suivis. — Elle allait livrer une commande. Quand elle reparut, le bateau venait de partir. Je me mis à marcher à côté d’elle, et la douceur de l’air nous arrachait des soupirs à tous les deux.

— « Il ferait bien bon dans les bois, « lui dis-je.

« Elle répondit : — « Oh ! oui ! »

— « Si nous allions y faire un tour, voulez-vous, mademoiselle ? »

« Elle me guetta en dessous d’un coup d’œil rapide comme pour bien apprécier ce que je valais, puis, après avoir hésité quelque temps, elle accepta. Et nous voilà côte à côte au milieu des arbres. Sous le feuillage un peu grêle encore, l’herbe, haute, drue, d’un vert luisant, comme vernie, était inondée de soleil et pleine de petites bêtes qui s’aimaient aussi. On entendait partout des chants d’oiseaux. Alors ma compagne se mit à courir en gambadant, enivrée d’air et d’effluves champêtres. Et moi je courais derrière en sautant comme elle. Est-on bête, monsieur, par moments !