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au printemps

les étages ; une rumeur gaie montait de la rue ; et je sortis, l’esprit en fête, pour aller je ne sais où.

Les gens qu’on rencontrait souriaient ; un souffle de bonheur flottait partout dans la lumière chaude du printemps revenu. On eût dit qu’il y avait sur la ville une brise d’amour épandue ; et les jeunes femmes qui passaient en toilette du matin, portant dans les yeux comme une tendresse cachée et une grâce plus molle dans la démarche, m’emplissaient le cœur de trouble.

Sans savoir comment, sans savoir pourquoi, j’arrivai au bord de la Seine. Des bateaux à vapeur filaient vers Suresnes, et il me vint soudain une envie démesurée de courir à travers les bois.

Le pont de la Mouche était couvert de passagers, car le premier soleil vous tire, malgré vous, du logis, et tout le monde remue, va, vient, cause avec le voisin.

C’était une voisine que j’avais ; une petite ouvrière sans doute, avec une grâce toute parisienne, une mignonne tête blonde sous des cheveux bouclés aux tempes ; des cheveux qui semblaient une lumière frisée, descendaient à l’oreille, couraient jusqu’à la nuque, dansaient au vent, puis devenaient, plus bas, un duvet si fin, si léger, si blond, qu’on le voyait à peine, mais qu’on éprouvait une irrésistible envie de mettre là une foule de baisers.

Sous l’insistance de mon regard, elle tourna la tête vers moi, puis baissa brusquement les yeux, tandis qu’un pli léger, comme un sourire prêt à naître, enfonçant un peu le coin de sa bouche, faisait apparaître aussi là ce