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une partie de campagne

Un rossignol ! Elle n’en avait jamais entendu, et l’idée d’en écouter un fit se lever dans son cœur la vision des poétiques tendresses. Un rossignol ! c’est-à-dire l’invisible témoin des rendez-vous d’amour qu’invoquait Juliette sur son balcon ; cette musique du ciel accordée aux baisers des hommes ; cet éternel inspirateur de toutes les romances langoureuses qui ouvrent un idéal bleu aux pauvres petits cœurs des fillettes attendries !

Elle allait donc entendre un rossignol.

— Ne faisons pas de bruit, dit son compagnon, nous pourrons descendre dans le bois et nous asseoir tout près de lui.

La yole semblait glisser. Des arbres se montrèrent sur l’île, dont la berge était si basse que les yeux plongeaient dans l’épaisseur des fourrés. On s’arrêta ; le bateau fut attaché ; et, Henriette s’appuyant sur le bras de Henri, ils s’avancèrent entre les branches. — «  Courbez-vous, » dit-il. Elle se courba, et ils pénétrèrent dans un inextricable fouillis de lianes, de feuilles et de roseaux, dans un asile introuvable qu’il fallait connaître et que le jeune homme appelait en riant « son cabinet particulier ».

Juste au-dessus de leur tête, perché dans un des arbres qui les abritaient, l’oiseau s’égosillait toujours. Il lançait des trilles et des roulades, puis filait de grands sons vibrants qui emplissaient l’air et semblaient se perdre à l’horizon, se déroulant le long du fleuve et s’envolant au-dessus des plaines, à travers le silence de feu qui appesantissait la campagne.