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une partie de campagne

grand’mère, se sentant grise, se tenait fort raide et fort digne. Quant à la jeune fille, elle ne laissait rien paraître ; son œil seul s’allumait vaguement, et sa peau très brune se colorait aux joues d’une teinte plus rose.

Le café les acheva. On parla de chanter et chacun dit son couplet, que les autres applaudirent avec frénésie. Puis on se leva difficilement, et, pendant que les deux femmes, étourdies, respiraient, les deux hommes, tout à fait pochards, faisaient de la gymnastique. Lourds, flasques, et la figure écarlate, ils se pendaient gauchement aux anneaux sans parvenir à s’enlever ; et leurs chemises menaçaient continuellement d’évacuer leurs pantalons pour battre au vent comme des étendards.

Cependant les canotiers avaient mis leurs yoles à l’eau et ils revenaient avec politesse proposer aux dames une promenade sur la rivière.

— Monsieur Dufour, veux-tu ? je t’en prie ! cria sa femme. Il la regarda d’un air d’ivrogne, sans comprendre. Alors un canotier s’approcha, deux lignes de pêcheur à la main. L’espérance de prendre du goujon, cet idéal des boutiquiers, alluma les yeux mornes du bonhomme, qui permit tout ce qu’on voulut, et s’installa à l’ombre, sous le pont, les pieds ballants au-dessus du fleuve, à côté du jeune homme aux cheveux jaunes qui s’endormit auprès de lui.

Un des canotiers se dévoua : il prit la mère. — « Au petit bois de l’île aux Anglais ! » cria-t-il en s’éloignant.

L’autre yole s’en alla plus doucement. Le rameur regardait tellement sa compagne qu’il ne pensait plus