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une partie de campagne

Les deux jeunes gens portèrent leur couvert quelques pas plus loin et se remirent à manger. Leurs bras nus, qu’ils montraient sans cesse, gênaient un peu la jeune fille. Elle affectait même de tourner la tête et de ne point les remarquer, tandis que Mme Dufour, plus hardie, sollicitée par une curiosité féminine qui était peut-être du désir, les regardait à tout moment, les comparant sans doute avec regret aux laideurs secrètes de son mari.

Elle s’était éboulée sur l’herbe, les jambes pliées à la façon des tailleurs, et elle se trémoussait continuellement, sous prétexte que des fourmis lui étaient entrées quelque part. M. Dufour, rendu maussade par la présence et l’amabilité des étrangers, cherchait une position commode qu’il ne trouva pas du reste, et le jeune homme aux cheveux jaunes mangeait silencieusement comme un ogre.

— Un bien beau temps, monsieur, dit la grosse dame à l’un des canotiers. Elle voulait être aimable à cause de la place qu’ils avaient cédée. — « Oui, madame, répondit-il ; venez-vous souvent à la campagne ? »

— Oh ! une fois ou deux par an seulement, pour prendre l’air ; et vous, monsieur ?

— J’y viens coucher tous les soirs.

– Ah ! ça doit être bien agréable ?

— Oui, certainement, madame.

Et il raconta sa vie de chaque jour, poétiquement, de façon à faire vibrer dans le cœur de ces bourgeois privés d’herbe et affamés de promenades aux champs cet