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une partie de campagne

soirées douces ou les claires matinées d’été, de raser les berges fleuries où des arbres entiers trempent leurs branches dans l’eau, où tremblote l’éternel frisson des roseaux et d’où s’envolent, comme des éclairs bleus, de rapides martins-pêcheurs.

Toute la famille, avec respect, les contemplait. — « Oh ! ça oui, c’est chouet, » répéta gravement M. Dufour. Et il les détaillait en connaisseur. Il avait canoté, lui aussi, dans son jeune temps, disait-il ; voire même qu’avec ça dans la main — et il faisait le geste de tirer sur les avirons — il se fichait de tout le monde. Il avait rossé en course plus d’un Anglais, jadis, à Joinville ; et il plaisanta sur le mot « dames », dont on désigne les deux montants qui retiennent les avirons, disant que les canotiers, et pour cause, ne sortaient jamais sans leurs dames. Il s’échauffait en pérorant et proposait obstinément de parier qu’avec un bateau comme ça, il ferait six lieues à l’heure sans se presser.

— C’est prêt, — dit la servante qui apparut à l’entrée. On se précipita ; mais voilà qu’à la meilleure place, qu’en son esprit Mme Dufour avait choisie pour s’installer, deux jeunes gens déjeunaient déjà. C’étaient les propriétaires des yoles, sans doute, car ils portaient le costume des canotiers.

Ils étaient étendus sur des chaises, presque couchés. Ils avaient la face noircie par le soleil et la poitrine couverte seulement d’un mince maillot de coton blanc qui laissait passer leurs bras nus, robustes comme ceux des forgerons. C’étaient deux solides gaillards, posant