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le papa de simon

épaule et une grosse voix lui demanda : — « Qu’est-ce qui te fait donc tant de chagrin, mon bonhomme ? »

Simon se retourna. Un grand ouvrier qui avait une barbe et des cheveux noirs tout frisés le regardait d’un air bon. Il répondit avec des larmes plein les yeux et plein la gorge :

— Ils m’ont battu… parce que… je… je… n’ai pas… de papa… pas de papa.

— Comment, dit l’homme en souriant, mais tout le monde en a un.

L’enfant reprit péniblement au milieu des spasmes de son chagrin : — « Moi… moi… je n’en ai pas. »

Alors l’ouvrier devint grave ; il avait reconnu le fils de la Blanchotte, et, quoique nouveau dans le pays, il savait vaguement son histoire.

Allons, dit-il, console-toi, mon garçon, et viens-t’en avec moi chez ta maman. On t’en donnera… un papa.

Ils se mirent en route, le grand tenant le petit par la main, et l’homme souriait de nouveau, car il n’était pas fâché de voir cette Blanchotte, qui était, contait-on, une des plus belles filles du pays ; et il se disait peut-être, au fond de sa pensée, qu’une jeunesse qui avait failli pouvait bien faillir encore.

Ils arrivèrent devant une petite maison blanche, très propre.

C’est là, dit l’enfant, et il cria : — « Maman ! »

Une femme se montra, et l’ouvrier cessa brusquement de sourire, car il comprit tout de suite qu’on ne badinait plus avec cette grande fille pâle qui restait sévère