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en famille

En arrivant au premier étage, elle faillit se heurter contre des gens qui montaient. C’était la famille de Charenton, Mme Braux suivie de son époux.

La femme, grande, grosse, avec un ventre d’hydropique qui rejetait le torse en arrière, ouvrait des yeux effarés, prête à fuir. Le mari, un cordonnier socialiste, petit homme poilu jusqu’au nez, tout pareil à un singe, murmura sans s’émouvoir : — « Eh bien, quoi ? Elle ressuscite ! »

Aussitôt que Mme Caravan les eut reconnus, elle leur fit des signes désespérés ; puis, tout haut : — « Tiens ! comment !… vous voilà ! Quelle bonne surprise ! »

Mais Mme Braux, abasourdie, ne comprenait pas ; elle répondit à demi-voix : — « C’est votre dépêche qui nous a fait venir, nous croyions que c’était fini. »

Son mari, derrière elle, la pinçait pour la faire taire. Il ajouta avec un rire malin caché dans sa barbe épaisse : — « C’est bien aimable à vous de nous avoir invités. Nous sommes venus tout de suite, » — faisant allusion ainsi à l’hostilité qui régnait depuis longtemps entre les deux ménages. Puis, comme la vieille arrivait aux dernières marches, il s’avança vivement et frotta contre ses joues le poil qui lui couvrait la face, en criant dans son oreille, à cause de sa surdité : — « Ça va bien, la mère, toujours solide, hein ? »

Mme Braux, dans sa stupeur de voir bien vivante celle qu’elle s’attendait à retrouver morte, n’osait pas même l’embrasser ; et son ventre énorme encombrait tout le palier, empêchant les autres d’avancer.