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en famille

patient : — « En voilà, des fantaisies ! Il n’y a que les femmes pour ça. Ce n’est pas assez de vous embêter pendant la vie, elles ne peuvent seulement pas vous laisser tranquille après la mort. » — Mais son épouse, sans se déconcerter, reprit : — « C’est plus fort que moi ; faut que j’y aille. Ça me tient depuis ce matin. Si je ne la voyais pas, il me semble que j’y penserais toute ma vie. Mais quand je l’aurai bien regardée pour prendre sa figure, je serai satisfaite après. »

L’homme au rasoir haussa les épaules et confia au monsieur dont il grattait la joue : — « Je vous demande un peu quelles idées ça vous a, ces sacrées femelles ! Ce n’est pas moi qui m’amuserais à voir un mort ! » — Mais sa femme l’avait entendu, et elle répondit sans se troubler : — « C’est comme ça, c’est comme ça. » — Puis, posant son tricot sur le comptoir, elle monta au premier étage.

Deux voisines étaient déjà venues et causaient de l’accident avec Mme Caravan, qui racontait les détails.

On se dirigea vers la chambre mortuaire. Les quatre femmes entrèrent à pas de loup, aspergèrent le drap l’une après l’autre avec l’eau salée, s’agenouillèrent, firent le signe de la croix en marmottant une prière, puis, s’étant relevées, les yeux agrandis, la bouche entr’ouverte, considérèrent longuement le cadavre, pendant que la belle-fille de la morte, un mouchoir sur la figure, simulait un hoquet désespéré.

Quand elle se retourna pour sortir, elle aperçut, debout près de la porte, Marie-Louise et Philippe-Au-