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en famille

moi, un jour qu’elle était de bonne humeur. Nous la descendrons en même temps. »

Caravan semblait incrédule. — « Mais, ma chère, c’est une grande responsabilité ! » Elle se tourna vers lui, furieuse : — « Ah ! vraiment ! Tu ne changeras donc jamais ? Tu laisserais tes enfants mourir de faim, toi, plutôt que de faire un mouvement. Du moment qu’elle me l’a donnée, cette commode, c’est à nous, n’est-ce pas ? Et si ta sœur n’est pas contente, elle me le dira, à moi ! Je m’en moque bien de ta sœur. Allons, lève-toi, que nous apportions tout de suite que ta mère nous a donné. »

Tremblant et vaincu, il sortit du lit, et, comme il passait sa culotte, elle l’en empêcha : — « Ce n’est pas la peine de t’habiller, va, garde ton caleçon, ça suffit ; j’irai bien comme ça, moi. »

Et tous deux, en toilette de nuit, partirent, montèrent l’escalier sans bruit, ouvrirent la porte avec précaution et entrèrent dans la chambre où les quatre bougies allumées autour de l’assiette au buis bénit semblaient seules garder la vieille en son repos rigide ; car Rosalie, étendue dans son fauteuil, les jambes allongées, les mains croisées sur sa jupe, la tête tombée de côté, immobile aussi et la bouche ouverte, dormait en ronflant un peu.

Caravan prit la pendule. C’était un de ces objets grotesques comme en produisit beaucoup l’art impérial. Une jeune fille en bronze doré, la tête ornée de fleurs diverses, tenait à la main un bilboquet dont la boule