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en famille

je… ne crois pas… Non, sans doute, elle n’en a pas fait. » Mme Caravan regarda son mari dans les yeux, et, d’une voix basse et rageuse : « C’est une indignité, vois-tu ; car enfin voilà dix ans que nous nous décarcassons à la soigner, que nous la logeons, que nous la nourrissons ! Ce n’est pas ta sœur qui en aurait fait autant pour elle, ni moi non plus si j’avais su comment j’en serais récompensée ! Oui, c’est une honte pour sa mémoire ! Tu me diras qu’elle payait pension : c’est vrai ; mais les soins de ses enfants, ce n’est pas avec de l’argent qu’on les paye : on les reconnaît par testament après la mort. Voilà comment se conduisent les gens honorables. Alors, moi, j’en ai été pour ma peine et pour mes tracas ! Ah ! c’est du propre ! c’est du propre ! »

Caravan, éperdu, répétait : — « Ma chérie, ma chérie, je t’en prie, je t’en supplie. »

À la longue, elle se calma, et revenant au ton de chaque jour, elle reprit : — « Demain matin, il faudra prévenir ta sœur. »

Il eut un sursaut : — « C’est vrai, je n’y avais pas pensé ; dès le jour j’enverrai une dépêche. » Mais elle l’arrêta, en femme qui a tout prévu. — « Non, envoie-la seulement de dix à onze, afin que nous ayons le temps de nous retourner avant son arrivée. De Charenton ici elle en a pour deux heures au plus. Nous dirons que tu as perdu la tête. En prévenant dans la matinée, on ne se mettra pas dans la commise ! »

Mais Caravan se frappa le front, et, avec l’intonation timide qu’il prenait toujours en parlant de son chef dont