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en famille

tombaient comme des gouttes d’eau sur le visage de la morte.

Mme Caravan la jeune eut une crise convenable de chagrin, et, debout derrière son mari, elle poussait de faibles gémissements en se frottant les yeux avec obstination.

Caravan, la face bouffie, ses maigres cheveux en désordre, très laid dans sa douleur vraie, se redressa soudain : — « Mais… êtes-vous sûr, docteur… êtes vous bien sûr ?… » L’officier de santé s’approcha rapidement, et maniant le cadavre avec une dextérité professionnelle, comme un négociant qui ferait valoir sa marchandise : « Tenez, mon bon, regardez l’œil. » Il releva la paupière, et le regard de la vieille femme réapparut sous son doigt, nullement changé, avec la pupille un peu plus large peut-être. Caravan reçut un coup dans le cœur, et une épouvante lui traversa les os. M. Chenet prit le bras crispé, força les doigts pour les ouvrir, et, l’air furieux comme en face d’un contradicteur : — « Mais regardez-moi cette main, je ne m’y trompe jamais, soyez tranquille. »

Caravan retomba vautré sur le lit, beuglant presque ; tandis que sa femme, pleurnichant toujours, faisait les choses nécessaires. Elle approcha la table de nuit sur laquelle elle étendit une serviette, posa dessus quatre bougies qu’elle alluma, prit un rameau de buis accroché derrière la glace de la cheminée et le posa entre les bougies dans une assiette qu’elle emplit d’eau claire, n’ayant point d’eau bénite. Mais, après une réflexion