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histoire d’une fille de ferme

sans pain avec mon petit. Tu n’en as pas, toi, d’éfant ; tu ne sais pas, tu ne sais pas !

Il répétait machinalement, dans une surprise grandissante :

— T’as un éfant ? t’as un éfant ?

Elle prononça au milieu des hoquets :

— Tu m’as prise de force ; tu le sais bien peut-être ? moi je ne voulais point t’épouser.

Alors il se leva, alluma la chandelle, et se mit à marcher dans la chambre, les bras derrière le dos. Elle pleurait toujours, écroulée sur le lit. Tout à coup il s’arrêta devant elle : — « C’est de ma faute alors si t’en ai pas fait ? » dit-il. Elle ne répondit pas. Il se remit à marcher ; puis, s’arrêtant de nouveau, il demanda :

— « Quel âge qu’il a ton petiot ? »

Elle murmura :

— V’là qu’il va avoir six ans.

Il demanda encore :

— Pourquoi que tu ne me l’as pas dit ?

Elle gémit :

— Est-ce que je pouvais !

Il restait debout, immobile.

— Allons, lève-toi, dit-il.

Elle se redressa péniblement ; puis, quand elle se fut mise sur ses pieds, appuyée au mur, il se prit à rire soudain de son gros rire des bons jours ; et comme elle demeurait bouleversée, il ajouta :

— Eh bien, on ira le chercher, c’t’éfant, puisque nous n’en avons pas ensemble.