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histoire d’une fille de ferme

c’est, ce merle-là ? Un va-nu-pieds, un sans-le-sou, un couche-dehors, un crève-la-faim ? Qu’est-ce que c’est, dis ?

Et, comme elle ne répondait rien :

— Ah ! tu ne veux pas… Je vas te le dire, moi : c’est Jean Baudu ?

Elle s’écria :

— Oh ! non, pas lui.

Alors c’est Pierre Martin ?

— Oh non ! not maître.

Et il nommait éperdument tous les garçons du pays, pendant qu’elle niait, accablée, et s’essuyant les yeux à tout moment du coin de son tablier bleu. Mais lui cherchait toujours avec son obstination de brute, grattant à ce cœur pour connaître son secret, comme un chien de chasse qui fouille un terrier tout un jour pour avoir la bête qu’il sent au fond. Tout à coup l’homme s’écria :

— Eh ! pardine, c’est Jacques, le valet de l’autre année ; on disait bien qu’il te parlait et que vous vous étiez promis mariage.

Rose suffoqua ; un flot de sang empourpra sa face ; ses larmes tarirent tout à coup ; elles se séchèrent sur ses joues comme des gouttes d’eau sur du fer rouge.

Elle s’écria :

— Non, ce n’est pas lui, ce n’est pas lui !

— Est-ce bien sûr, ça ? demanda le paysan malin qui, flairait un bout de vérité.

Elle répondit précipitamment :

— Je vous le jure, je vous le jure…