Page:Maupassant - La maison Tellier - Ollendorff, 1899.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
115
histoire d’une fille de ferme

et elle poussa un cri désespéré, car depuis ses genoux jusqu’au bout de ses pieds de longues sangsues noires buvaient sa vie, se gonflaient, collées à sa chair. Elle n’osait point y toucher et hurlait d’horreur. Ses clameurs désespérées attirèrent un paysan qui passait au loin avec sa voiture. Il arracha les sangsues une à une, comprima les plaies avec des herbes et ramena la fille dans sa carriole jusqu’à la ferme de son maître.

Elle fut pendant quinze jours au lit, puis, le matin où elle se releva, comme elle était assise devant la porte, le fermier vint soudain se planter devant elle.

— Eh bien, dit-il, c’est une affaire entendue, n’est-ce pas ?

Elle ne répondit point d’abord, puis, comme il restait debout, la perçant de son regard obstiné, elle articula péniblement :

— Non, not’maître, je ne peux pas.

Mais il s’emporta tout à coup.

— Tu ne peux pas, la fille, tu ne peux pas, pourquoi ça ?

Elle se remit à pleurer et répéta :

— Je ne peux pas.

Il la dévisageait, et il lui cria dans la face :

— C’est donc que tu as un amoureux ?

Elle balbutia, tremblant de honte :

— Peut-être bien que c’est ça.

L’homme, rouge comme un coquelicot, bredouillait de colère :

— Ah ! tu l’avoues donc, gueuse ! Et qu’est-ce que