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histoire d’une fille de ferme

chant même pas à comprendre, tant ses idées tourbillonnaient comme à l’approche d’un grand danger. Il attendit une seconde, puis continua :

— Vois-tu, une ferme sans maîtresse, ça ne peut pas aller, même avec une servante comme toi.

Alors il se tut, ne sachant plus que dire ; et Rose le regardait de l’air épouvanté d’une personne qui se croit en face d’un assassin et s’apprête à s’enfuir au moindre geste qu’il fera.

Enfin, au bout de cinq minutes, il demanda :

— Hé bien ! ça te va-t-il ?

Elle répondit avec une physionomie idiote :

— Quoi, not’maître ?

Alors lui, brusquement :

— Mais de m’épouser, pardine !

Elle se dressa tout à coup, puis retomba comme cassée sur sa chaise, où elle demeura sans mouvement, pareille à quelqu’un qui aurait reçu le coup d’un grand malheur. Le fermier à la fin s’impatienta :

— Allons, voyons ; qu’est-ce qu’il te faut alors ?

Elle le contemplait affolée ; puis, soudain, les larmes lui vinrent aux yeux, et elle répéta deux fois en suffoquant :

— Je ne peux pas, je ne peux pas !

— Pourquoi ça ? demanda l’homme. Allons, ne fais pas la bête ; je te donne jusqu’à demain pour réfléchir.

Et il se dépêcha de s’en aller, très soulagé d’en avoir fini avec cette démarche qui l’embarrassait beaucoup et ne doutant pas que, le lendemain, sa servante accep-