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histoire d’une fille de ferme

Elle prenait une joie infinie à le pétrir dans ses mains, à le laver, à l’habiller ; et elle était même heureuse de nettoyer ses saletés d’enfant, comme si ces soins intimes eussent été une confirmation de sa maternité. Elle le considérait, s’étonnant toujours qu’il fût à elle, et elle se répétait à demi-voix, en le faisant danser dans ses bras : « C’est mon petiot, c’est mon petiot. »

Elle sanglota toute la route en retournant à la ferme, et elle était à peine revenue que son maître l’appela dans sa chambre. Elle s’y rendit, très étonnée et fort émue sans savoir pourquoi.

— Assieds-toi là, dit-il.

Elle s’assit et ils restèrent pendant quelques instants à côté l’un de l’autre, embarrassés tous les deux, les bras inertes et encombrants, et sans se regarder en face, à la façon des paysans.

Le fermier, gros homme de quarante-cinq ans, deux fois veuf, jovial et têtu, éprouvait une gêne évidente qui ne lui était pas ordinaire. Enfin il se décida et se mit à parler d’un air vague, bredouillant un peu et regardant au loin dans la campagne.

— Rose, dit-il, est-ce que tu n’as jamais songé à t’établir ?

Elle devint pâle comme une morte. Voyant qu’elle ne lui répondait pas, il continua :

— Tu es une brave fille, rangée, active et économe. Une femme comme toi, ça ferait la fortune d’un homme.

Elle restait toujours immobile, l’œil effaré, ne cher-