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histoire d’une fille de ferme

gouttes de sueur. Il se sentit repris d’envie, et, la bouche dans son oreille, il murmura :

— Oui, je veux bien.

Alors elle lui jeta ses bras au cou et elle l’embrassa si longtemps qu’ils en perdaient haleine tous les deux.

De ce moment commença entre eux l’éternelle histoire de l’amour. Ils se lutinaient dans les coins ; ils se donnaient des rendez-vous au clair de la lune, à l’abri d’une meule de foin, et ils se faisaient des bleus aux jambes, sous la table, avec leurs gros souliers ferrés.

Puis, peu à peu, Jacques parut s’ennuyer d’elle ; il l’évitait, ne lui parlait plus guère, ne cherchait plus à la rencontrer seule. Alors elle fut envahie par des doutes et une grande tristesse ; et, au bout de quelque temps, elle s’aperçut qu’elle était enceinte.

Elle fut consternée d’abord, puis une colère lui vint, plus forte chaque jour, parce qu’elle ne parvenait point à le trouver, tant il l’évitait avec soin.

Enfin, une nuit, comme tout le monde dormait dans la ferme, elle sortit sans bruit, en jupon, pieds nus, traversa la cour et poussa la porte de l’écurie où Jacques était couché dans une grande boîte pleine de paille au dessus de ses chevaux. Il fit semblant de ronfler en l’entendant venir ; mais elle se hissa près de lui, et, à genoux à son côté, le secoua jusqu’à ce qu’il se dressât.

Quand il se fut assis, demandant : — « Qu’est-ce que tu veux ? » elle prononça, les dents serrées, tremblant de fureur : — « Je veux, je veux que tu m’épouses,