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le port

sur lui, les mains ouvertes dans le dos de la fille, et voilà qu’à force de la regarder, il la reconnut enfin, la petite sœur laissée au pays avec tous ceux qu’elle avait vus mourir, elle, pendant qu’il roulait sur les mers. Alors prenant soudain dans ses grosses pattes de marin cette tête retrouvée, il se mit à l’embrasser comme on embrasse de la chair fraternelle. Puis des sanglots, de grands sanglots d’homme, longs comme des vagues, montèrent dans sa gorge pareils à des hoquets d’ivresse.

Il balbutiait :

— Te v’là, te r’voilà, Françoise, ma p’tite Françoise…

Puis tout à coup il se leva, se mit à jurer d’une voix formidable en tapant sur la table un tel coup de poing que les verres culbutés se brisèrent. Puis il fit trois pas, chancela, étendit les bras, tomba sur la face. Et il se roulait par terre en criant, en battant le sol de ses quatre membres, et en poussant de tels gémissements qu’ils semblaient des râles d’agonie.

Tous ses camarades le regardaient en riant.

— Il est rien saoul, dit l’un.