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l’ordonnance

C’était presque un vieillard, un grand maigre à moustaches blanches qui avait épousé, trois ans plus tôt, la fille d’un camarade, demeurée orpheline après la mort de son père, le colonel Sortis.

Le capitaine et le lieutenant sur qui s’appuyait leur chef essayaient de l’emmener. Il résistait, les yeux pleins de larmes qu’il ne laissait point couler, par héroïsme, et, murmurant, tout bas : « Non, non, encore un peu », il s’obstinait à rester là, les jambes fléchissantes, au bord de ce trou, qui lui paraissait sans fond, un abîme où étaient tombés son cœur et sa vie, tout ce qui lui restait sur terre.

Tout à coup le général Ormont s’approcha, saisit par le bras le colonel, et l’entraînant presque de force : « Allons, allons, mon vieux camarade, il ne faut pas demeurer là. » Le colonel obéit alors, et rentra chez lui.

Comme il ouvrait la porte de son cabinet, il aperçut une lettre sur sa table de travail. L’ayant prise, il faillit tomber de surprise et d’émotion, il avait reconnu l’écriture de sa femme. Et la lettre portait le timbre de la poste