Page:Maupassant - La guerre, paru dans Gil Blas, 11 décembre 1883.djvu/3

Cette page a été validée par deux contributeurs.

égorger dix mille Français. Cette ville ne nous servira à rien. Il n’y a là qu’une question d’honneur national. Donc l’honneur national (singulier honneur !) qui nous pousse à prendre une cité qui ne nous appartient pas, l’honneur national qui se trouve satisfait par le vol, par le vol d’une ville, le sera d’avantage encore par la mort de cinquante mille Chinois et de dix mille Français.  

Et ceux qui vont périr là-bas sont des jeunes hommes qui pourraient travailler, produire, être utiles. Leurs pères sont vieux et pauvres. Leurs mères, qui pendant vingt ans les ont aimés, adorés comme adorent les mères, apprendront dans six mois que le fils, l’enfant, le grand enfant élevé avec tant de peine, avec tant d’argent, avec tant d’amour, est tombé dans un bois de roseaux, la poitrine crevée par les balles. Pourquoi a-t-on tué son garçon, son beau garçon, son seul espoir, son orgueil, sa vie ? Elle ne sait pas.  Oui, pourquoi ? Parce qu’il existe au fond de l’Asie une ville qui s’appelle Bac-Ninh ; et parce qu’un ministre qui ne la connaît pas s’est amusé à la prendre aux Chinois.