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forment davantage encore les mâchoires et les os, les autres ont gardé leurs cheveux, d’autres un bout de moustache, d’autres une mèche de barbe.

Celles-ci regardent en l’air de leurs yeux vides, celles-là en bas ; en voici qui semblent rire atrocement, en voilà qui sont tordues par la douleur, toutes paraissent affolées par une épouvante surhumaine.

Et ils sont vêtus, ces morts, ces pauvres morts hideux et ridicules, vêtus par leur famille qui les a tirés du cercueil pour leur faire prendre place dans cette effroyable assemblée. Ils ont, presque tous, des espèces de robes noires dont le capuchon parfois est ramené sur la tête. Mais il en est qu’on a voulu habiller plus somptueusement et le misérable squelette, coiffé d’un bonnet grec à broderies et enveloppé d’une robe de chambre de rentier riche, étendu sur le dos, semble dormir d’un sommeil terrifiant et comique.

Une pancarte d’aveugle, pendue à leur cou, porte leur nom et la date de leur mort. Ces dates font passer des frissons dans les os. On lit : 1880-1881-1882.

Voici donc un homme, ce qui était un homme,