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Les habitants viennent de passer par une horrible disette, et on reconnaît bien partout cet air de famine qui semble répandu sur les maisons mêmes. On vend, comme dans les bourgades du centre africain, toutes sortes d’humbles choses en des boutiques grandes comme des boites, où les marchands sont accroupis à la turque. Voici des dattes de Gafsa ou du Souf, agglomérées en gros paquets de pâte visqueuse, dont le vendeur, assis sur la même planche, détache les fragments avec ses doigts. Voici des légumes, des piments, des pâtes, et, dans les souks, longs bazars tortueux et voûtés, des étoffes, des tapis, de la sellerie ornementée de broderies d’or et d’argent, et une inimaginable quantité de savetiers qui fabriquent des babouches de cuir jaune. Jusqu’à l’occupation française, les juifs n’avaient pu s’établir en cette ville impénétrable. Aujourd’hui ils y pullulent et la rongent. Ils détiennent déjà les bijoux des femmes et les titres de propriété d’une partie des maisons, sur lesquelles ils ont prêté de l’argent, et dont ils deviennent vite possesseurs, par suite du système de renouvellement et de multiplication de la dette qu’ils pratiquent avec une adresse et une rapacité infatigables.

Nous allons vers la mosquée Djama-Kebir ou