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descend vers lui l’astre invisible. De lourds oiseaux passent d’un vol lent ; ce sont, je crois, des buses. La sensation du soir est profonde, pénètre l’âme, le coeur, le corps avec une rare puissance, dans cette lande sauvage qui va ainsi jusqu’à Kairouan, à deux jours de marche devant nous. Telle doit être, à l’heure du crépuscule, la steppe russe. Nous rencontrons trois hommes en burnous. De loin, je les prends pour des nègres, tant ils sont noirs et luisants, puis je reconnais le type arabe. Ce sont des gens du Souf, curieuse oasis presque enfouie dans les sables entre les Chotts et Touggourt. La nuit bientôt s’étend sur nous. Les chevaux ne vont plus qu’au pas. Mais soudain surgit dans l’ombre un mur blanc. C’est l’intendance nord de l’Enfida, le bordj de Bou-Ficha, sorte de forteresse carrée, défendue par des murs sans ouvertures et par une porte de fer contre les surprises des Arabes. On nous attend. La femme de l’intendant, Mme  Moreau, nous a préparé un fort bon dîner. Nous avons fait 80 kilomètres, malgré les ponts et chaussées.