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— D’où es-tu donc ? lui dis-je stupéfait.

— D’Algérie !

— Ah ! je parie que tu es Kabyle ?

— Oui, Moussi.

Il riait, enchanté que j’eusse deviné son origine, et me montrant son camarade :

— Lui aussi.

— Ah ! bon.

C’était pendant une sorte d’entracte.

Les femmes, à qui personne ne parlait, ne remuaient pas plus que des statues, et je me mis à causer avec mes deux voisins d’Algérie, grâce au secours de l’agent de police indigène.

J’appris qu’ils étaient bergers, propriétaires aux environs de Bougie, et qu’ils portaient dans les replis de leurs burnous des flûtes de leur pays dont ils jouaient le soir, pour se distraire. Ils avaient envie sans doute qu’on admirât leur talent et ils me montrèrent deux minces roseaux percés de trous, deux vrais roseaux coupés par eux au bord d’une rivière.

Je priai qu’on les laissât jouer, et tout le monde aussitôt se tut avec une politesse parfaite.

Ah ! la surprenante et délicieuse sensation qui se glissa dans mon cœur avec les premières notes si légères, si bizarres, si inconnues, si imprévues,