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troubles, énormes. Que dit-il ? Il me demande une pipe pour fumer et me raconte que son père l’attend.

De temps en temps, il se soulève, laissant voir sous sa gebba et son burnous des jambes grêles d’araignée humaine : et le nègre, son gardien, un géant luisant aux yeux blancs, le rejette chaque fois sur sa natte d’une seule pesée sur l’épaule, qui semble écraser le faible halluciné.

Son voisin est une sorte de monstre jaune et grimaçant, un Espagnol de Ribera, accroupi et cramponné aux barreaux et qui demande aussi du tabac ou du kif, avec un rire continu qui a l’air d’une menace.

Ils sont deux dans la case suivante : encore un fumeur de chanvre, qui nous accueille avec des gestes frénétiques, grand Arabe aux membres vigoureux, tandis que, assis sur ses talons, son voisin, immobile, fixe sur nous des yeux transparents de chat sauvage. Il est d’une beauté rare, cet homme, dont la barbe noire, courte et frisée, rend le teint livide et superbe. Le nez est fin, la figure longue, élégante, d’une distinction parfaite. C’est un Mozabite, devenu fou après avoir trouvé mort son jeune fils, qu’il cherchait depuis deux jours.