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LA MAISON TELLIER.

sique, supplia Rosa de chanter ; et celle-ci entama gaillardement le Gros Curé de Meudon. Mais Madame tout de suite la fit taire, trouvant cette chanson peu convenable en ce jour. Elle ajouta : — « Chante-nous plutôt quelque chose de Béranger. » — Alors Rosa, après avoir hésité quelques secondes, fixa son choix, et de sa voix usée commença la Grand’mère :

Ma grand’mère, un soir à sa fête,
De vin pur ayant bu deux doigts,
Nous disait, en branlant la tête :
Que d’amoureux j’eus autrefois !
Combien je regrette
Mon bras si dodu,
Ma jambe bien faite,
Et le temps perdu !

Et le chœur des filles, que Madame elle-même conduisait, reprit :

Combien je regrette
Mon bras si dodu,
Ma jambe bien faite,
Et le temps perdu !

— Ça, c’est tapé ! déclara Rivet, allumé par la cadence ; et Rosa aussitôt continua :

Quoi, maman, vous n’étiez pas sage ?
— Non, vraiment ! et de mes appas,
Seule, à quinze ans, j’appris l’usage,
Car, la nuit, je ne dormais pas.