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LA MAISON TELLIER.

fut complimentée par le commis voyageur qu’enthousiasmèrent ses puissantes colonnes. Les maigres tibias de la belle Juive eurent moins de succès. Louise Cocote, par plaisanterie, coiffa le monsieur de sa jupe ; et Madame fut obligée d’intervenir pour arrêter cette farce inconvenante. Enfin Madame elle-même tendit sa jambe, une belle jambe normande, grasse et musclée ; et le voyageur, surpris et ravi, ôta galamment son chapeau pour saluer ce maître mollet en vrai chevalier français.

Les deux paysans, figés dans l’ahurissement, regardaient de côté, d’un seul œil ; et ils ressemblaient si absolument à des poulets que l’homme aux favoris blonds, en se relevant, leur fit dans le nez « Co-co-ri-co ». Ce qui déchaîna de nouveau un ouragan de gaieté.

Les vieux descendirent à Motteville, avec leur panier, leurs canards et leur parapluie ; et l’on entendit la femme dire à son homme en s’éloignant : — « C’est des traînées qui s’en vont encore à ce satané Paris. »

Le plaisant commis porte-balle descendit lui-même à Rouen, après s’être montré si grossier que Madame se vit obligée de le remettre vertement à sa place. Elle ajouta, comme morale : — « Ça nous apprendra à causer au premier venu. »