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LA MAISON TELLIER.

et la troupe des matelots, fatigués d’attendre en vain devant une maison fermée, déboucha sur la place. Ils se tenaient par le bras, deux par deux, formant une longue procession, et ils vociféraient furieusement. Le groupe des bourgeois se dissimula sous une porte, et la horde hurlante disparut dans la direction de l’abbaye. Longtemps encore on entendit la clameur qui diminuait comme un orage qui s’éloigne ; et le silence se rétablit.

M. Poulin et M. Dupuis, enragés l’un contre l’autre, partirent, chacun de son côté, sans se saluer.

Les quatre autres se remirent en marche, et redescendirent instinctivement vers l’établissement Tellier. Il était toujours clos, muet, impénétrable. Un ivrogne, tranquille et obstiné, tapait des petits coups dans la devanture du café, puis s’arrêtait pour appeler à mi-voix le garçon Frédéric. Voyant qu’on ne lui répondait point, il prit le parti de s’asseoir sur la marche de la porte, et d’attendre les événements.

Les bourgeois allaient se retirer quand la bande tumultueuse des hommes du port reparut au bout de la rue. Les matelots français braillaient la Marseillaise, les anglais le Rule Britannia. Il y eut un ruement général contre les murs, puis le flot de brutes reprit son