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de tous mes membres, tremblant tellement que je n’osais pas la toucher. J’avançais la main, j’hésitais. C’était bien elle, pourtant : une armoire Louis XIII unique, reconnaissable par quiconque avait pu la voir une seule fois. Jetant soudain les yeux un peu plus loin, vers les profondeurs plus sombres de cette galerie, j’aperçus trois de mes fauteuils couverts de tapisserie au petit point, puis, plus loin encore, mes deux tables Henri II, si rares qu’on venait les voir de Paris.

Songez ! songez à l’état de mon âme !

Et j’avançai, perclus, agonisant d’émotion, mais j’avançai, car je suis brave, j’avançai comme un chevalier des époques ténébreuses pénétrait en un séjour de sortilèges. Je retrouvais, de pas en pas, tout ce qui m’avait appartenu, mes lustres, mes livres, mes tableaux, mes étoffes, mes armes, tout, sauf le bureau plein de mes lettres, et que je n’aperçus point.

J’allais, descendant à des galeries obscures pour remonter ensuite aux étages supérieurs. J’étais seul.

J’appelais, on ne répondait point. J’étais seul ; il n’y avait personne en cette maison vaste et tortueuse comme un labyrinthe.