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À peine éveillé, le lendemain, il se posa cette question : « Que dois-je faire ? » À une cocotte, à une actrice, il eût envoyé des fleurs ou même un bijou ; mais il demeurait torturé de perplexité devant cette situation nouvelle.

Assurément, il fallait écrire. Quoi ?… Il griffonna, ratura, déchira, recommença vingt lettres, qui toutes lui semblaient blessantes, odieuses, ridicules.

Il aurait voulu exprimer en termes délicats et charmeurs la reconnaissance de son âme, ses élans de tendresse folle, ses offres de dévouement sans fin ; mais il ne découvrait, pour dire ces choses passionnées et pleines de nuances, que des phrases connues, des expressions banales, grossières ou puériles.

Il renonça donc à l’idée d’écrire, et se décida à l’aller voir, dès que l’heure de la séance serait passée, car il pensait bien qu’elle ne viendrait pas.

S’enfermant alors dans l’atelier, il s’exalta devant le portrait, les lèvres chatouillées de l’envie de se poser sur la peinture où quelque chose d’elle était fixé ; et de moment en moment, il regardait dans la rue par la fenêtre. Toutes les robes apparues au loin lui donnaient un battement de cœur. Vingt fois il crut la reconnaître, puis, quand la femme aperçue était passée, il s’asseyait un moment, accablé comme après une déception.