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d’allumer le lustre comme s’il eût redouté les coins obscurs, et il s’enferma. Quelle émotion bizarre, profonde, physique, affreusement triste l’étreignait ! Il la sentait dans sa gorge, dans sa poitrine, dans tous ses muscles amollis, autant que dans son âme défaillante. Les murs de l’appartement l’oppressaient ; toute sa vie tenait là dedans, sa vie d’artiste et sa vie d’homme. Chaque étude peinte accrochée lui rappelait un succès, chaque meuble lui disait un souvenir. Mais succès et souvenirs étaient des choses passées ! Sa vie ? Comme elle lui sembla courte, vide et remplie. Il avait fait des tableaux, encore des tableaux, toujours des tableaux et aimé une femme. Il se rappelait les soirs d’exaltation, après les rendez-vous, dans ce même atelier. Il avait marché des nuits entières, avec de la fièvre plein son être. La joie de l’amour heureux, la joie du succès mondain, l’ivresse unique de la gloire, lui avaient fait savourer des heures inoubliables de triomphe intime.

Il avait aimé une femme, et cette femme l’avait aimé. Par elle il avait reçu ce baptême qui révèle à l’homme le monde mystérieux des émotions et des tendresses. Elle avait ouvert son cœur presque de force, et maintenant il ne le pouvait plus refermer. Un autre amour entrait, malgré lui, par cette brèche ! un autre ou plutôt le même surchauffé par un nouveau visage, le même accru de toute la force