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flattait, le froissait en même temps, car elle indiquait des frontières.

La gravité voulue et cérémonieuse du peintre gênait un peu Mme  de Guilleroy, qui ne trouvait rien à dire à cet homme si froid, réputé spirituel.

Après avoir installé sa petite fille, elle venait s’asseoir sur un fauteuil auprès de l’esquisse commencée, et elle s’efforçait, selon la recommandation de l’artiste, de donner de l’expression à sa physionomie.

Vers le milieu de la quatrième séance, il cessa tout à coup de peindre et demanda :

— Qu’est-ce qui vous amuse le plus dans la vie ?

Elle demeura embarrassée.

— Mais je ne sais pas ! Pourquoi cette question ?

— Il me faut une pensée heureuse dans ces yeux-là, et je ne l’ai pas encore vue.

— Eh bien, tâchez de me faire parler, j’aime beaucoup causer.

— Vous êtes gaie ?

— Très gaie.

— Causons, Madame.

Il avait dit « causons, Madame » d’un ton très grave ; puis, se remettant à peindre, il tâta avec elle quelques sujets, cherchant un point sur lequel leurs esprits se rencontreraient. Ils commencèrent par échanger leurs observations sur les gens qu’ils connaissaient, puis ils parlèrent d’eux-mêmes, ce