Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/190

Cette page a été validée par deux contributeurs.

passion que de besoins du cœur ; à mon âge, au contraire, l’amour est devenu une habitude d’infirme, c’est un pansement de l’âme, qui ne battant plus que d’une aile s’envole moins dans l’idéal. Le cœur n’a plus d’extase, mais des exigences égoïstes. Et puis, je sens très bien que je n’ai pas de temps à perdre pour jouir de mon reste.

— Oh ! vieux ! dit-elle en lui prenant la main.

Il répétait :

— Mais oui, mais oui. Je suis vieux. Tout le montre, mes cheveux, mon caractère qui change, la tristesse qui vient. Sacristi, voilà une chose que je n’ai pas connue jusqu’ici : la tristesse ! Si on m’eût dit, quand j’avais trente ans, qu’un jour je deviendrais triste sans raison, inquiet, mécontent de tout, je ne l’aurais pas cru. Cela prouve que mon cœur aussi a vieilli.

Elle répondit avec une certitude profonde :

— Oh ! moi, j’ai le cœur tout jeune. Il n’a pas changé. Si, il a rajeuni peut-être. Il a eu vingt ans, il n’en a plus que seize.

Ils restèrent longtemps à causer ainsi dans la fenêtre ouverte, mêlés à l’âme du soir, tout près l’un et l’autre, plus près qu’ils n’avaient jamais été, en cette heure de tendresse, crépusculaire comme l’heure du jour.

Un domestique entra, annonçant :

— Madame la comtesse est servie.