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Elle était montée dans sa chambre et songeait. Des souffles de chaleur remuaient de temps en temps les rideaux. Le chant des cris-cris emplissait l’air. Jamais encore elle ne s’était sentie si triste. Ce n’était plus la grande douleur écrasante qui avait broyé son cœur, qui l’avait déchirée, anéantie, devant le corps sans âme de la vieille maman bien-aimée. Cette douleur qu’elle avait crue inguérissable s’était, en quelques jours, atténuée jusqu’à n’être qu’une souffrance du souvenir ; mais elle se sentait emportée maintenant noyée dans un flot profond de mélancolie où elle était entrée tout doucement, et dont elle ne sortirait plus.

Elle avait envie de pleurer, une envie irrésistible — et ne voulait pas. Chaque fois qu’elle sentait ses paupières humides, elle les essuyait vivement, se levait, marchait, regardait le parc, et, sur les grands arbres des futaies les corbeaux promenant dans le ciel bleu leur vol noir et lent.

Puis elle passait devant sa glace, se jugeait d’un coup d’œil, effaçait la trace d’une larme en effleurant le coin de l’œil avec la houppe de poudre de riz, et elle regardait l’heure en cherchant à deviner à quel point de la route il pouvait bien être arrivé.

Comme toutes les femmes qu’emporte une détresse d’âme irraisonnée ou réelle, elle se rattachait à lui avec une tendresse éperdue. N’était-il