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« Roncières, 30 juillet.
« Mon ami,

« Merci pour votre lettre ! J’ai tant besoin de savoir que vous m’aimez ! Je viens de passer par des jours affreux. J’ai cru vraiment que la douleur allait me tuer à mon tour. Elle était en moi, comme un bloc de souffrance enfermé dans ma poitrine, et qui grossissait sans cesse, m’étouffait, m’étranglait. Le médecin qu’on avait appelé, afin qu’il apaisât les crises de nerfs que j’avais quatre ou cinq fois par jour, m’a piquée avec de la morphine, ce qui m’a rendue presque folle, et les grandes chaleurs que nous traversons aggravaient mon état, me jetaient dans une surexcitation qui touchait au délire. Je suis un peu calmée depuis le gros orage de vendredi. Il faut vous dire que, depuis le jour de l’enterrement, je ne pleurais plus du tout, et voilà que, pendant l’ouragan dont l’approche m’avait bouleversée, j’ai senti tout d’un coup que les larmes commençaient à me sortir des yeux, lentes, rares, petites, brûlantes. Oh ! ces premières larmes, comme elles font mal ! Elles me déchiraient comme si elles eussent été des griffes, et j’avais la gorge serrée à ne plus laisser passer mon souffle. Puis, ces larmes devinrent plus rapides, plus grosses, plus tièdes. Elles s’échappaient de mes yeux comme d’une source, et il en venait tant, tant, tant, que mon