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— Asseyons-nous, dit-il.

Ils s’assirent auprès de l’eau. Et les deux cygnes s’en vinrent flotter devant eux, espérant quelque nourriture.

Bertin sentait en lui s’éveiller des souvenirs, ces souvenirs disparus, noyés dans l’oubli et qui soudain reviennent, on ne sait pourquoi. Ils surgissaient rapides, de toutes sortes, si nombreux en même temps, qu’il éprouvait la sensation d’une main remuant la vase de sa mémoire.

Il cherchait pourquoi avait lieu ce bouillonnement de sa vie ancienne que plusieurs fois déjà, moins qu’aujourd’hui cependant, il avait senti et remarqué. Il existait toujours une cause à ces évocations subites, une cause matérielle et simple, une odeur, un parfum souvent. Que de fois une robe de femme lui avait jeté au passage, avec le souffle évaporé d’une essence, tout un rappel d’événements effacés ! Au fond des vieux flacons de toilette, il avait retrouvé souvent aussi des parcelles de son existence : et toutes les odeurs errantes, celles des rues, des champs, des maisons, des meubles, les douces et les mauvaises, les odeurs chaudes des soirs d’été, les odeurs froides des soirs d’hiver, ranimaient toujours chez lui de lointaines réminiscences, comme si les senteurs gardaient en elle les choses mortes embaumées, à la façon des aromates qui conservent les momies.