Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/113

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Comme elle était disposée à parler, il l’interrogea sur ses goûts. Elle avoua des espérances de succès et de gloire mondaine avec une naïveté gentille, désira de beaux chevaux, qu’elle connaissait presque en maquignon, car l’élevage occupait une partie des fermes de Roncières ; et elle ne s’inquiéta guère plus d’un fiancé que de l’appartement qu’on trouverait toujours dans la multitude des étages à louer.

Ils approchaient du lac où deux cygnes et six canards flottaient doucement, aussi propres et calmes que des oiseaux de porcelaine et ils passèrent devant une jeune femme assise sur une chaise, un livre ouvert sur les genoux, les yeux levés devant elle, l’âme envolée dans une songerie.

Elle ne bougeait pas plus qu’une figure de cire. Laide, humble, vêtue en fille modeste qui ne songe point à plaire, une institutrice peut-être, elle était partie pour le Rêve, emportée par une phrase ou par un mot qui avait ensorcelé son cœur. Elle continuait, sans doute, selon la poussée de ses espérances, l’aventure commencée dans le livre.

Bertin s’arrêta, surpris :

— C’est beau, dit-il, de s’en aller comme ça.

Ils avaient passé devant elle. Ils retournèrent et revinrent encore sans qu’elle les aperçût, tant elle suivait de toute son attention le vol lointain de sa pensée.