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fort comme la mort

étranglés, les yeux pleins de larmes, se tordre sur leur lit devant les farces d’un loustic. Mais dans nos salons on ne rit pas. Je vous dis qu’on fait le simulacre de tout, même du rire.

Musadieu l’arrêta :

— Permettez ; vous êtes sévère ! Vous-même, mon cher, il me semble pourtant que vous ne dédaignez pas ce monde que vous raillez si bien.

Bertin sourit.

— Moi, je l’aime.

— Mais alors ?

— Je me méprise un peu comme un métis de race douteuse.

— Tout cela, c’est de la pose, dit la duchesse,

Et comme il se défendait de poser, elle termina la discussion en déclarant que tous les artistes aimaient à faire prendre aux gens des vessies pour des lanternes.

La conversation, alors, devint générale, effleura tout, banale et douce, amicale et discrète, et, comme le dîner touchait à sa fin, la comtesse, tout à coup, s’écria, en montrant ses verres pleins devant elle :

— Eh bien, je n’ai rien bu, rien, pas une goutte, nous verrons si je maigrirai.

La duchesse, furieuse, voulut la forcer à avaler une gorgée ou deux d’eau minérale ; ce fut en vain, et elle : s’écria :

— Oh ! la sotte ! voilà que sa fille va lui tourner la tête. Je vous en prie, Guilleroy, empêchez votre femme de faire cette folie.

Le comte, en train d’expliquer à Musadieu le système d’une batteuse mécanique inventée en Amérique, n’avait pas entendu.