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fort comme la mort

trait à la Saint-Simon. Cet homme-là, on ne voulait pas le comprendre, parce qu’on prête toujours aux autres sa propre manière de penser, et qu’on les croit prêts à faire ce qu’on aurait fait à leur place. M. de Bismarck n’était pas un diplomate faux et menteur, mais un franc, un brutal, qui criait toujours la vérité, annonçait toujours ses intentions. « Je veux la paix », dit-il. C’était vrai, il voulait la paix, rien que la paix, et tout le prouvait d’une façon aveuglante depuis dix huit ans, tout, jusqu’à ses armements, jusqu’à ses alliances, jusqu’à ce faisceau de peuples unis contre notre impétuosité. M. de Guilleroy conclut d’un ton profond, convaincu : « C’est un grand homme, un très grand homme qui désire la tranquillité, mais qui croit seulement aux menaces et aux moyens violents pour l’obtenir. En somme, Messieurs, un grand barbare ».

— Qui veut la fin veut les moyens, reprit M. de Musadieu. Je vous accorde volontiers qu’il adore la paix si vous me concédez qu’il a toujours envie de faire la guerre pour l’obtenir. C’est là d’ailleurs une vérité indiscutable et phénoménale on ne fait la guerre en ce monde que pour avoir la paix !

Un domestique annonçait : — Madame la duchesse de Mortemain.

Dans les deux battants de la porte ouverte, apparut une grande et forte femme, qui entra avec autorité. Guilleroy, se précipitant, lui baisa les doigts, et demanda :

— Comment allez-vous, duchesse ?

Les deux autres hommes la saluèrent avec une certaine familiarité distinguée, car la duchesse avait des façons d’être cordiales et brusques.

Veuve du général duc de Mortemain, mère d’une