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fort comme la mort

semblait celle d’un livre dont elle était l’héroïne. Quand il avait énuméré, avec des airs galants et dégagés, tous les soucis dont il devenait la proie, sa voix, par moments, se faisait tremblante en exprimant par un mot ou seulement par une intonation l’endolorissement de son cœur.

Et toujours elle l’interrogeait, vibrante de curiosité, les yeux fixés sur lui, l’oreille avide de ces choses un peu inquiétantes à entendre, mais si charmantes à écouter.

Quelquefois, en venant près d’elle pour rectifier la pose, il lui prenait la main et essayait de la baiser. D’un mouvement vif elle lui ôtait ses doigts des lèvres et fronçant un peu les sourcils :

— Allons, travaillez, disait-elle.

Il se remettait au travail, mais cinq minutes ne s’étaient pas écoulées sans qu’elle lui posât une question pour le ramener adroitement au seul sujet qui les occupât.

En son cœur maintenant elle sentait naître des craintes. Elle voulait bien être aimée, mais pas trop. Sûre de n’être pas entraînée, elle redoutait de le laisser s’aventurer trop loin, et de le perdre, forcée de le désespérer après avoir paru l’encourager. S’il avait fallu cependant renoncer à cette tendre et marivaudante amitié, à cette causerie qui coulait, roulant des parcelles d’amour comme le ruisseau dont le sable est plein d’or, elle aurait ressenti un gros chagrin, un chagrin pareil à un déchirement.

Quand elle sortait de chez elle pour se rendre à l’atelier du peintre, une joie l’inondait, vive et chaude, la rendait légère et joyeuse. En posant sa main sur la sonnette de l’hôtel d’Olivier, son cœur battait d’impa-